Titre du Projet de thèse* : Mécanismes et ontogenèse des déplacements collectifs.
Expérimentation et modélisation mathématique en milieu alimentaire homogène et hétérogène.
Mots clés* (6): Déplacements collectifs, développement, socialité, coordination, voisinage
influant, modélisation.
English title of the thesis project*: Mechanisms and ontogeny of collective movements.
Experimental and mathematical modelling approaches in homogeneous and heterogeneous
feeding habitats.
Keywords*: Collective movements, development, sociality, coordination, neighborhood,
modelling
Résumé du projet de thèse*:
L’étude des déplacements collectifs s’incorpore dans le cadre des phénomènes auto-organisés.
Un des fondements de ce cadre théorique réside dans la proposition que des interactions locales
sont suffisantes pour générer des structures complexes au niveau du groupe. La grande majorité
des études de mouvement collectif ont considéré des milieux homogènes (i.e. absence
d’obstacles, distribution spatial uniforme de nourriture, etc). A notre connaissance, tous ces
études, sauf un, concernent des sujets adultes. L’objectifs de cette thèse sont i) d’étudier,
expérimentalement et théoriquement, le développement des mécanismes de coordination dans
les déplacements chez le mouton dans des milieux homogènes, mais aussi hétérogènes, et ii)
aborder l’ontogenèse du mouvement collectif. Nous aborderons ce dernier point en quantifiant
les comportements et les trajectoires au sein de groupes de taille fixe (4, 8 et 16 sujets),
composés de sujets du même stade de développement/âge (2, 4 et 12 mois) ou de deux stades
différents. Expérimentalement, les localisations et trajectoires des animaux seront obtenues
grâce à des GNSS et/ou des capteurs UWB dans des pelouses naturelles. Les données de
comportement seront obtenues par des accéléromètres, même si toutes les expériences seront
filmées. Nous étudierons aussi comment les déplacements des animaux sont affectés par
l’hétérogénéité contrôlée des ressources alimentaires (i.e. en contrôlant la qualité et quantité de
pelouse dans l’espace de déplacement). Au niveau théorique, nous utiliserons des modèles
d’agents avec des variables internes pour représenter l’état comportemental des individus, et
considérerons des taux de transition locales et dépendant de la qualité et quantité de la ressource
alimentaire local. La question des possibles modifications des comportements au cours de
l’ontogénèse sera abordée avec des outils de Reinforcement Learning.
Summary of the thesis project*:
Collective movements in living systems have been the subject of a considerable number of
studies within the scope of self-organization. Within this framework, complex patterns at the
group level emerge from local interactions. Most collective motion studies have considered
homogeneous environments (i.e. no obstacles, homogeneous distributions of food sources, etc).
Furthermore, to the best of our knowledge, all collective motion studies, but one, are restricted
to adults. The objectives of this thesis project are i) to investigate, experimentally and
theoretical, the underlying behavioral rules that lead to coordinated collective displacements in
sheep in homogeneous as well as heterogeneous environments, and ii) to study the ontogeny of
collective motion. To address the latter point we will make use of the fact that lambs exhibit
marked change in sociability and behavior during their first months of life. We will quantify
the behavior and trajectories of groups of fixed size (with 4, 8 and 16 individuals) in the same
developmental phase, considering 2, 4, and 12 months old individuals or of two different
development phases. Experimentally, location and trajectories will be collected using GNSS
and/or UWB sensors. Behavioral data will be obtained using accelerometers, but all trials will
be also filmed. We will also study how collective displacements are affected by heterogeneous
distribution of food sources by controlling the quality and quantity of grass in the experimental
arena. At the theoretical level, we will make use of agent-based models with an internal variable
that describes the behavioral state of the individuals and consider local transition rates that
depend on the quality and quantity of the local food sources. Collective motion ontogeny will
be addressed by making use of concepts of Reinforcement Learning.
Thématique : Comportements collectifs
Domaine : Biologie - Physique
Objectifs : Le projet vise à étudier, dans un environnement contrôlé, les hypothétiques
mécanismes impliqués dans la coordination comportementale, spatiale et temporelle permettant
les déplacements collectifs dans des milieux homogènes et hétérogènes. Nous nous proposons
d’étudier ces questions au cours du développement des animaux. Nous quantifierons les
comportements de déplacement (stationnaire ou non-stationnaire), la vitesse de déplacement,
le nombre de pas en fonction de la taille/masse des individus. Nous mesurerons aussi le temps
passé en alimentation, déplacement, et vigilance, ainsi que le nombre de bouchées. En effet, des
différences anatomiques liée au développement peuvent générer des déplacements ou
exploration différente et en fin de compte soit une absence de cohésion soit une cohésion mais
avec un coût énergétique asymétrique/mutuel dans les groupes composés. Cet objectif pourra
être atteint en comparant des groupes d’individus d’âge identique ou différent. Nous
mesurerons aussi le niveau d’attraction sociale entre individus en mesurant les inter-distances
entre sujets et le degré d’alignement des sujets. Nous utiliserons les outils de quantification et
modélisation des comportements élaborés lors de nos travaux passés sur des groupes de
moutons adultes. Nous intègrerons les hypothèses et mécanismes comportementaux dans un
modèle d’agents dans lequel l’état comportemental de chaque individu est représenté par une
variable interne. Cette approche interdisciplinaire permettra d’apprécier la portée de différentes
hypothèses quant à la nature des interactions ainsi que l’identification du voisinage pour rendre
compte des déplacements collectifs et de leur possible modification au cours du développement
des individus. A notre connaissance, ce travail expérimental sera le second à aborder la genèse
et la quantification des déplacements collectifs au sein d’une même espèce et le premier à
évaluer les potentiels coûts de la cohésion dans le même type de milieu complexe permettant
l’expression d’une diversité de comportements entre individus, sans relation de dominance et
sans compétition par exclusion.
Contexte *: L’étude des déplacements collectifs est à l’interface de la biologie-écologie et de
la physique. Elle vise à identifier les comportements les plus simples, les interactions et les
voisins en interaction (niveau individuel - échelle locale) permettant l’expression de propriétés
collectives (niveau collectif – large échelle). Les modèles actuels reposent sur quelques règles
alternatives permettant de rendre compte des propriétés collectives et de leur modification, et il
est parfois difficile d’identifier la meilleure des hypothèses (Weitz et al 2012 ; Hinz & Polavieja
2017 ; Toulet et al. 2015, Gascuel et al 2021). Presque tous ces travaux théoriques ou
expérimentaux s’intéressent à des individus adultes. Plus rares sont ceux qui ont étudié des
individus juvéniles (Bazazi et al 2012 ; Buhl et al 2006). Les travaux reposent en général sur le
fait que les individus sont très comparables du point de vue comportemental et sensoriel, qu’ils
expriment un nombre limité de comportements, que les animaux interagissent en permanence
entre eux. A notre connaissance un seul travail s’est proposé d’étudier les déplacements dans
une perspective de développement/ontogenèse (Hinz & Polavieja 2017). Notre première
question générale est la suivante : les individus se déplacent-ils collectivement et de la même
façon en fonction de l’âge, depuis des stages juvéniles précoces jusqu’au stade adulte. Si des
différences d’attraction sociales ou de déplacement existent entre individus d’âge différent, cela
affecte t’il le niveau de cohésion sociale? Hinz & Polavieja (2017) ont bien montré que le niveau
d’attraction sociale varie avec l’âge. Par contre, ils n’ont pas abordé la question de la cohésion
au sein de groupes composés d’individus de différents âges et le potentiel coût que cela
engendre. Les espèces de vertébrés grégaires vivent en groupes qui peuvent contenir des sujets
qui diffèrent notamment par la taille ou le statut social et cela peut compromettre la cohésion
socio-spatiale ou nécessiter des compromis (Evers et al 2011, Farine et al. 2017, Harel et al
2021). Nous nous proposons d’étudier les comportements, les interactions et les propriétés des
possibles déplacements collectifs au cours du développement chez le modèle mouton (Ovis
aries). Ce modèle présente tout au long de sa vie l’intérêt d’être grégaire et d’occuper un milieu
très comparable, ce qui n’est pas le cas des espèces présentant des métamorphoses par ex. Chez
les moutons sauvages comme domestiques, comme chez de nombreuses autres espèces, les
groupes peuvent être composés d’individus juvéniles, adultes, et de nouveaux nés. Au cours du
développement, les individus présentent des modifications notables de comportement, de
socialité, notamment au cours du passage de l’alimentation lactée à l’autonomie alimentaire.
Aussi au cours des semaines vers l’autonomie alimentaire, on observe une forte réduction des
activités de jeu, des interactions sociales. Le mouton permet d’étudier expérimentalement
l’influence du développement comportemental, alimentaire, de locomotion et social sur la
dynamique des déplacements. Les travaux peuvent être menés dans des pâturages naturels
homogènes. Il est aussi possible de contrôler la composition des groupes. Nos travaux seront
réalisés en composant des groupes de sujets du même âge et d’âge différents, en enregistrant
les comportements à 3 stades de développement (vers 2 mois période suivant le sevrage
alimentaire, 4 mois - période juvénile, 12 mois – période adulte précoce). Les expériences
seront menées dans des pâturages de pelouse naturelle (steppe de la Crau) mais homogène du
point de vue de la couverture végétale. Nous quantifierons au niveau individuel, le niveau
d’attraction sociale, la façon de se déplacer, les coûts énergétiques métaboliques en fonction de
la masse/taille (Nudds et al 2009), de la vitesse de déplacement et le nombre de pas (Heglund
& Taylor 1988, Dewhirst et al 2017) et l’incidence au niveau collectif (cohésion sociale,
alternance et transition de phases stationnaires et non-stationnaires, possible ségrégation
spatiale, niveau d’exploration). Nous utiliserons le cadre d’un système d’agents apprenant par
renforcement (multi-agent reinforcement learning framework) pour évaluer les possibles
modifications des comportements des individus pouvant affecter la coordination sociale lors
des déplacements (Durve et al 2020). Nous évaluerons comment la coordination sociale et les
déplacements peuvent être affectés par l’hétérogénéité environnementale, cette dernière étant
expérimentalement contrôlée.
Méthode : Les animaux seront élevés dans les mêmes conditions. Ils auront accès aux pâturages
dès le plus jeune âge en suivant leur mère. Suite au sevrage maternel, les animaux seront
introduits dans des parcs de même superficie et homogènes du point de vue de la végétation.
Les animaux se trouveront en groupe de taille égale à 2, 8 ou 16. Nous réaliserons 20
réplications pour chaque taille de groupe. Chaque réplication durera une heure.
Les sujets seront équipés de GPS et/ou d’UWB permettant de les localiser au moins 1
fois/sec. Ils porteront aussi des accéléromètres qui permettront de coder automatiquement les
comportements les plus simples. L’identification des comportements se fera par des méthodes
d’apprentissage (deep learning), ce qui nécessite d’être capable d’identifier les comportements
par des méthodes éthologiques classiques, reposant sur des enregistrements videos. Chaque
réplication sera aussi filmée pour identifier les comportements qui pourraient être difficiles à
identifier automatiquement.
Des analyses par échantillonnage focal (focal sampling) et des comptages continus (all
occurrence sampling) durant des périodes courtes pourront permettre d’évaluer les taux de pas
et de bouchées (Michelena et al 2004).
Nous intègrerons toutes les données dans des modèles d’agents intelligents : les agents
peuvent changer et adapter leur comportement en utilisant une variable interne qui représente
le comportement de l’agent. La variable interne évolue par une chaine de Markov et le
comportement dans l’espace est décrit par une équation de Langevin avec des coefficients
dépendent de la variable interne. Dans la phase de l’étude de l’ontogenèse, nous considérons
des coefficients qui évoluent par une dynamique de Reinforcement Learning.
Résultats attendus : Les brebis adultes testées dans des conditions identiques à celles que nous
nous proposons dans ce projet ont la particularité de rester en un seul agrégat lors d’une activité
quasi-contenue de prise alimentaire. Elles alternent des périodes de déplacement nul/très faibles
avec des périodes de déplacement plus rapide sur quelques mètres et ceci en synchronie.
Lorsque des accélérations durent plusieurs secondes, cela conduit à des déplacements collectifs
manifestes. Nous faisons l’hypothèse que la simple attraction sociale qui est sous-jacente au
suivi des individus en déplacement n’est pas aussi marquée durant les stades les plus précoces,
de sorte que l’on s’attend à moins de cohésion sociale et une synchronisation plus faible des
déplacements. Alternativement, la moindre cohésion sociale peut s’expliquer par une plus
grande diversité comportementale chez les jeunes. En outre, la prise alimentaire étant
probablement moins intense (taux de bouchées), moins longue (durée des bouts ou période
inter-repos) on peut imaginer que des activités de repos, de vigilance, d’interactions sociales
rend la polarisation, l’agrégation et donc la cohésion sociale des groupes moins élevée. Avec
l’augmentation de la part du brout, nous émettons l’hypothèse que la synchronie des
déplacements dans l’espace et le temps croît. En outre, nous nous attendons à ce que le coût
énergétique métabolique de déplacement sera plus élevé chez les sujets jeunes, de faible masse
et plus petits, que les plus âgés sur la base des indicateurs de la locomotion. On s’attend à ce
que dans les groupes avec des individus d’âge différent, le niveau de cohésion sociale soit
moindre et puisse engendrer un coût chez les plus jeunes par une augmentation de la vitesse de
locomotion et moins de prise alimentaire.
Finalement, nous intègrerons tous les données dans des modèles d’agents intelligents.
Le modèle nous permettra de pouvoir évaluer les hypothèses et prédire les comportements dans
plusieurs situations hypothétiques. L’utilisation des techniques de Reinforcement Learning
pour faire évoluer des paramètres dans le modèle proposé va nous permettre d’aborder
l’ontogenèse du mouvement collectif théoriquement.
Références bibliographiques *:
Bazazi S et al. 2012. Vortex formation and foraging in polyphenic spadefoot toad tadpoles.
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Buhl J et al. 2006. From disorder to order in marching locusts. Science, 212:1402-1406.
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Evers et al. 2011. Better Safe than Sorry - Socio-Spatial Group Structure Emerges from
Individual Variation in Fleeing, Avoidance or Velocity in an Agent-Based Model. PLoS
ONE 6(11): e26189.
Candidature
Profil et compétences recherchées* : la personne recherchée devra avoir une formation en
éthologie/comportement animal. Elle devra aussi acquérir de solides compétences en
modélisation pour quantifier la dynamique sociale et les déplacements. Elle devra à cet égard
travailler dans deux universités différentes, celles de rattachement des co-encadrants. En outre,
cette personne devra être capable de conduire des expériences sur le terrain, se former au
gardiennage, accepter des périodes d’astreinte dans le domaine. La personne recherchée devra
travailler dans un contexte zootechnique et d’élevage et se conformer aux règles de travail, sous
l’autorité du directeur du domaine. Le site expérimental étant éloigné de l’université, la
personne devra montrer de l’autonomie, tout en restant en contact étroit avec les directeurs de
thèse, de la résistance physique, de la persévérance et beaucoup de rigueur.
Profile and skills required* : the candidate should have a solid background in ethology/animal
behavior and a strong affinity with quantitative analyses/modelling. The necessity to share time
between the two universities of affiliation of supervisors must be taken into account. The
candidate should have also to conduct experiments in the field with previous formation in
herding sheep, which requires physical resistance, perseverance and rigorousness. During
experiments the candidate should have to care all the animals involved, this requiring
commitment all the week, in conformity with the zootechnical rules of the experimental farm,
cooperating with the community of agents appointed in the farm. Because the field station is
far from the laboratories, the candidate should manifest a strong autonomy but also should keep
permanent contact with both supervisors.