Appel à contributions pour le n°21 de la revue Tétralogiques, « Existe-t-il un seuil de l’humain ? Identité et différence de l’animal humain et de l’animal non-humain : entre équivalence et irréductibilité ? »
Argumentaire scientifique résumé :
La question d’un « propre de l’humain », donc celle d’un éventuel seuil distinguant l’espèce humaine au sein du règne animal, est de celles qui suscitent des débats scientifiques virulents.
Aux tenants d’une similitude entre les espèces — ou continuité —, qui s’appuient sur des travaux expérimentaux de plus en plus nombreux, s’opposent à des degrés divers ceux qui, notamment en sciences humaines et sociales, mettent en avant une irréductibilité de l’humain à l’animalité — ou discontinuité.
Le numéro 21 de la revue Tétralogiques se propose de confronter les arguments épistémologiques et empiriques en présence, afin de faire le point sur la question, ainsi que sur les aptitudes pour lesquelles elle se pose.
Site web de la revue : tetralogiques.fr
Date limite de soumission : 10 juillet 2015
Date de publication : février 2016
Modalités de soumission : la revue publie des contributions originales. Les soumissions doivent être conformes aux recommandations (http://www.ressources.univ-rennes2.fr/ciaphs/tetralogiques/spip.php?article18), et présentées dans un fichier sans mention du nom de l’auteur. Elles seront envoyées à l’adresse suivante : pur-tetralogiques [ chez ] univ-rennes2.fr
La langue de Tétralogiques est le français.
Contact :
Patrice Gaborieau, coordinateur du comité de rédaction : pur-tetralogiques [ chez ] univ-rennes2.fr
Clément de Guibert, responsable scientifique du numéro : clement.deguibert [ chez ] univ-rennes2.fr
Argumentaire scientifique détaillé :
Existe-t-il un « propre de l’humain », et dans ce cas quel est-il ? Est-il au contraire temps « d’abattre la barrière des espèces » ? La question de l’identité et de la différence entre les capacités de l’animal humain (l’humain) et celles de l’animal ou des animaux non-humains (l’animal) est l’objet de débats parfois âpres qui peuvent tendre à la simple controverse.
Ce numéro de Tétralogiques souhaite aborder cette question sous l’hypothèse qu’une science de l’homme ne peut qu’aller de pair avec une science des capacités animales par rapport à laquelle la première se situe.
D’un côté, les travaux expérimentaux de psychologie cognitive animale ou d’éthologie mettent régulièrement en évidence chez plusieurs espèces des capacités jusqu’ici insoupçonnées, qui semblent les rapprocher de l’humain. Cependant, comme le faisait remarquer le primatologue D. Premack en 2007[1], si ces travaux cherchent et montrent une similitude, similitude n’est pas équivalence, et ils ne cherchent pas à tester la différence, ce qui serait pourtant nécessaire et corollaire. Autrement dit, affirmer une équivalence ne consiste pas simplement à mettre en valeur une similitude, mais aussi une absence de différence.
D’un autre côté, il est fréquent que les travaux des sciences humaines et sociales mettent en avant les différences humaines et argumentent dans le sens d’une opposition, d’une divergence, c’est-à-dire d’une spécificité ou singularité humaine irréductible. Une position qui, comme le soulignaient notamment Hauser, Chomsky et Fitch en 2002[2], ne se fonde que rarement sur des arguments empiriques et qui, inversement à la précédente, de la spécificité conclut à une opposition humaine sans affronter la question de l’identité. Autrement dit, affirmer une divergence ne devrait pas cette fois seulement consister à mettre en valeur une spécificité, mais aussi une absence d’identité.
Trois positions épistémologiques semblent donc pouvoir résumer l’état de la question : l’équivalence, ou continuité, pour laquelle, suivant la proposition connue de Darwin, l’humain n’est qu’un animal plus complexe, avec « un cerveau plus gros » ; l’irréductibilité, ou discontinuité, qui soutient que l’humain a modifié de façon si radicale ses « racines animales » que celles-ci en sont totalement modifiées ou annihilées, rendant les deux ordres incommensurables ; enfin, la similarité (au sens strict d’une identité ou d’une différence partielle), qui accepte la possibilité concomitante de la continuité et de la discontinuité.
Cette troisième position est de fait plus difficile à préciser et à formuler : s’il y a similarité, où se situent les identités, et où se situent les différences ? Le langage est souvent cité. Mais, préciser en quoi l’animal en est ou non capable, nécessite de définir ce qu’on entend par langage. Et le langage n’est sans doute pas le seul domaine où la question se pose : outil et technicité, sociabilité et relations sociales, motivation et morale sont d’autres domaines où le même type de question se pose.
Tétralogiques se propose de développer cette problématique de la similarité, en s’ouvrant à des travaux issus des sciences de l’animal tout autant que des sciences de l’humain. Comment la question du rapport entre animal humain et non-humain doit-elle être posée ? En quoi (dans quels secteurs de capacités, en quel type de fonctionnement mental, cognitif, psychique) l’animal serait-il dans l’humain et partagerait-il avec lui ses aptitudes ? En quoi l’humain se différencierait-il de l’animal ?
En parallèle de ce questionnement central, deux autres types d’approches de la question peuvent également être envisagés.
D’abord, l’anthropologie sociale questionne également l’opposition occidentale et récente entre « Nature » et « Culture ». Pour l’anthropologue Philippe Descola, par exemple, en 2005[3], la distinction animal-humain n’est qu’une « ontologie ou cosmologie » parmi d’autres, évidemment non universelle. Ou encore, l’anthropologue Tim Ingold avançait en 1994[4] que le savoir occidental se trompe de question, en se demandant « en quoi le genre humain est différent de l’animal », au lieu de « en quoi les animaux humains sont d’un genre particulier »[5], soulignant que la première est exclusive, opposant condition humaine et condition animale, là où la seconde est inclusive (l’espèce humaine appartenant à l’espèce animale)[6].
Enfin, la question du rapport animal-humain est également d’actualité dans les travaux de paléoanthropologie, autour de la question dite de « l’hominisation ». Si l’on peut s’interroger sur la légitimité de la recherche des « origines » (« le premier homme »), à laquelle Pascal Pick, par exemple, en 2006, préfère effectivement celle des transformations[7], la question de la frontière primate humain / non-humain, et de ses critères, est bien essentielle dans l’analyse des traces de nos « ancêtres ».
L’appel à communication pour ce numéro s’adresse à tous les chercheurs concernés par cette problématique, quel que soit le champ d’étude (perception, langage, mémoire, outil, sociabilité, morale…), quel que soit le domaine disciplinaire, du moment que la question est envisagée d’un point d’un point de vue méthodologique, empirique ou hypothétique.
[1] Premack . D. (2007). Human and animal cognition : Continuity and discontinuity », Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, 104, 13 861-13 867.
[2] Hauser M.D., Chomsky N., Fitch W.T. (2002). The faculty of language: What is it, Who has it, and how did it evolve? Science, 298, 1569-1579.
[3] Descola P. (2005). Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard.
[4] Ingold T. (1994). Humanity and animality , in Ingold T. (ed), Companion Encyclopedia of Anthropology, Londres, Routledge, pp. 14-32.
[5]La question est : “What makes humans different in kind from animals?”, au lieu de : “What’s makes human animals of a particular kind?”.
[6] “Humanity, in short, ceases to mean the sum total of human beings, members of the animal species Homo sapiens, and become the state or condition of being human, one radically opposed to the condition of animality (…). The relation between the human and the animal is thus turned from the inclusive (a province within a kingdom) to the exclusive (one state of being rather than another).”
[7] Pick P. (2006). Les temps de la parole : l’apparition du langage articulé, dans : Dessales J.-L., Pick P., Victorri B., Les origines du langage, Paris, Le Pommier.
Présentation de la revue :
Tétralogiques est une revue à comité de lecture qui s’adresse à tous ceux qu’intéresse une réflexion théorique sur les sciences humaines. Elle se propose de passer outre les frontières des champs disciplinaires, produits de circonstances socio-historiques, au profit des objets scientifiques, issus de la modélisation hypothétique. Au rebours de la pluridisciplinarité, elle entend cultiver, selon le mot de son fondateur, Jean Gagnepain, l’in-discipline.
La revue, fondée en 1984, est porteuse d’un héritage : un modèle général du fonctionnement humain (dans ce qui le spécifie comme ce qui le rattache au reste du vivant), lui-même redevable d’une méthode clinique d’investigation scientifique. Inaugurée autour des troubles du langage, elle conduit à dépasser l’approche positive des phénomènes pour remonter aux principes explicatifs, et réfute la tendance actuelle au naturalisme généralisé, auquel la quantification tient tout entière lieu d’épistémologie, tout comme l’idée contraire que toute investigation scientifique des phénomènes humains serait vouée à l’échec.
Tétralogiques entend prendre position dans les débats scientifiques contemporains armée de ces arguments, et contribuer ainsi à l’avancée d’une anthropologie conçue comme explication générale de l’humain. Elle se propose également de susciter et d’accueillir les débats en son sein, en ouvrant ses pages à tous ceux qui seront intéressés par les problématiques suggérées par ses numéros thématiques. La revue s’adresse aux chercheurs, mais souhaite qu’y contribuent d’autres milieux professionnels chaque fois que l’occasion pourra en être créée.
Tétralogiques est publiée en ligne gratuitement depuis son numéro 20.
Comité scientifique :
Pierre-Yves BALUT (Maître de conférences HDR en art et archéologie, Université Paris-Sorbonne)
Jean-Luc BRACKELAIRE (Professeur de psychologie, Université de Namur, Université catholique de Louvain)
Denis BRIAND (Maître de conférences HDR en arts plastiques, Université Rennes 2)
Michel CHAUVIÈRE (Sociologue, Directeur de recherches au CNRS)
Bernard COUTY (Maître de conférences en sciences du langage retraité, Université de Besançon)
Jean-Yves DARTIGUENAVE (Professeur de sociologie, Université Rennes 2)
Philippe DE LARA (Maître de conférences HDR en science politique, Université Paris 2 Panthéon-Assas)
Benoît DIDIER (Professeur aux Hautes Ecoles Léonard de Vinci et Paul Henri Spaak, Bruxelles ; psychologue, service de psychiatrie aux cliniques de l’Europe - St Michel, Bruxelles)
Olivier DOUVILLE (Maître de conférences en psychologie, Laboratoire CRPMS, Université Paris 7 Paris-Diderot)
Dany-Robert DUFOUR (Philosophie, professeur des universités, Université Paris 8, ancien directeur de programme au Collège International de Philosophie)
Attie DUVAL (Professeur de sciences du langage, Université Rennes 2)
Gilles FERRÉOL (Professeur de sociologie, Université de Franche-Comté)
Marcel GAUCHET (Directeur d’études à l’EHESS)
Jean GIOT (Professeur émérite en sciences du langage, Université de Namur)
Roland GORI (Psychanalyste ; Professeur de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’Université d’Aix-Marseille)
Michael HERMANN (Professeur de linguistique romane retraité, Université de Trèves)
Didier LE GALL (Professeur de psychologie, Université d’Angers ; praticien attaché au département de neurologie, CHU d’Angers)
Jean-Pierre LEBRUN (Psychiatre et psychanalyste, Namur, Bruxelles)
Gilles LIPOVETSKY (Philosophe et sociologue, Professeur à l’Université Stendhal Grenoble 3)
Antoine MASSON (Psychiatre, Professeur à l’Université de Namur)
Dominique OTTAVI (Professeur en sciences de l’éducation, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense Paris 10)
Régnier PIRARD (Professeur de psychologie, Université de Nantes ; psychanalyste)
Jean-Claude QUENTEL (Professeur en sciences du langage, Université Rennes 2)
Jean-Claude SCHOTTE (Philosophe et psychanalyste, Luxembourg)
Pierre-Henri TAVOILLOT (Maître de conférences à l’Université Paris 4 Paris-Sorbonne ; Président du Collège de Philosophie)
Bernard VALADE (Professeur émérite en sociologie, Université Paris-Descartes Paris 5)