dimanche 8 juillet 2012

Influence des pratiques culturales sur l’utilisation des rizières par les canards hivernants


Structure d’accueil du Doctorant : ONCFS, CNERA Avifaune Migratrice, et Centre de recherche de la Tour du Valat
Localisation : La Tour du Valat, Le Sambuc, Arles
Ecole Doctorale : SIBAGHE, Université Montpellier II

Directeur de thèse : Matthieu Guillemain, ONCFS, HDR
Co-directeur : Michel Gauthier-Clerc, Tour du Valat, HDR

Titre de la thèse : Influence des pratiques culturales sur l’utilisation des rizières par les canards hivernants

DESCRIPTION DU PROJET :

Contexte Scientifique
Après avoir fortement fluctué au cours des cinquante dernières années, la culture rizicole représente aujourd’hui environ 20 000 hectares en France, presque exclusivement en Camargue. Outre les revenus du riz proprement dits, il est nécessaire pour les agriculteurs Camarguais de conduire des cultures en eau douce pour dessaler les terres et ainsi pouvoir régulièrement cultiver du blé ou des oleo-protéagineux, plus rentables économiquement. Les rizières constituent un habitat favorable pour un grand nombre d’oiseaux d’eau, anatidés et laro-limicoles en particulier en tant que halte migratoire, zone de reproduction ou site d’alimentation hivernal. Dans ce dernier cas, l’itinéraire technique et les pratiques culturales post-récolte influent très fortement sur la diversité, l’abondance et l’accessibilité des ressources alimentaires pour les oiseaux, que ce soient des résidus de récolte (grains de riz non ramassés par les moissonneuses), des graines d’adventices ou des invertébrés. La culture en mode biologique peut également avoir une incidence sur les quantités de ressources disponibles pour les canards dans les rizières par rapport à la culture conventionnelle. Si les agriculteurs peuvent être favorables à l’utilisation des rizières par les oiseaux d’eau en période hivernale, parce que les rizières utilisées comme gagnages peuvent alors devenir des territoires de chasse, ceci ne doit pas contrarier leurs pratiques culturales et avoir des conséquences néfastes du point de vue agronomique. Ainsi, pour des raisons agronomiques et économiques, les riziculteurs Camarguais favorisent souvent le brûlage + le labour des parcelles (ce qui permet de réduire d’abord la quantité de paille et balle de riz, puis d’en favoriser la décomposition), alors que le labour automnal des parcelles est une des techniques les moins favorables à l’utilisation des parcelles par les oiseaux. Les exploitants craignent en effet que l’absence de labour à l’automne rende la préparation des sols difficile au printemps, et qu’une inondation prolongée puisse gêner l’entrée dans les parcelles non suffisamment ressuyées au printemps pour les semis.
Pourtant, des alternatives existent et sont pratiquées dans d’autres régions productrices de riz, comme l’Amérique du Nord. Le brulage est en outre interdit dans la vallée centrale de Californie, et c’est alors le roulage ou le disquage des parcelles suivi d’une inondation longue, voire la seule inondation, qui sont privilégiés pour favoriser la décomposition de la paille et limiter les adventices. Reconnaissant que les rizières peuvent être des habitats favorables aux oiseaux d’eau, et de fait à leur chasse, il semble possible de faire évoluer les pratiques pour rendre les parcelles rizicoles Camarguaises plus attractives pour les oiseaux d’eau. En réponse aux fluctuations des cours et aux incertitudes concernant l’avenir de la pratique rizicole dans le cadre de la nouvelle PAC, certains propriétaires sont également tentés de reconvertir temporairement leurs rizières en marais, afin de pouvoir tirer un revenu cynégétique à la place d’un revenu agricole. Un frein à cette pratique est néanmoins la crainte des exploitants concernant la capacité à revenir ensuite à la riziculture si cela devenait plus intéressant (du fait du développement des adventices, etc).


Problématique du sujet de doctorat
Le contexte Camarguais décrit ci dessus fournit des conditions favorables à la mise en place d’un programme de recherche sur l’utilisation des rizières par les canards hivernants.
Ce projet a pour objectif général de tester des pratiques post-récolte alternatives au brulage-labour traditionnel Camarguais, en particulier via l’introduction d’une inondation hivernale des parcelles, et d’en mesurer les conséquences en termes d’usage des parcelles par les canards hivernants. Il est possible que certaines pratiques plus bénéfiques en termes environnementaux (meilleure qualité de l’air si absence de brulage, meilleure qualité de l’eau d’écoulement si inondation des parcelles, fourniture d’habitat favorable à la faune sauvage) soient peu ou pas coûteuses en termes agronomiques, le facteur limitant souvent annoncé étant le besoin de retravailler au printemps le sol des parcelles non brulées-labourées. Ce projet vise donc à appliquer un certain nombre de traitements post-récolte à des parcelles échantillons, tels que inondation, labour, disquage et brulage, ainsi que des combinaisons de ces traitements, et de mesurer les conséquences en termes de disponibilité des ressources pour les oiseaux, fréquentation (essentiellement nocturne) par les canards, et potentiel agronomique en plus de rendement rizicole la saison suivante. Des transitions expérimentales riziculture-marais-riziculture sont également envisagées pour évaluer l’intérêt et les contraintes de telles pratiques. Il est raisonnable d’envisager que ce programme permettra au final de proposer des mesures de gestion spécifiques des rizières favorables à l’avifaune, qui pourraient ultimement déboucher sur une contractualisation des agriculteurs concernés, par exemple via la mise en place de contrats type « agrifaune » ou de mesures agri environnementales dans le cadre de la PAC ou de Natura 2000.

Cadre conceptuel de cette thèse
Ce projet s’inscrit dans la continuité des travaux du CNERA Avifaune Migratrice de l’ONCFS sur les facteurs régissant l’utilisation de l’espace et limitant potentiellement les populations hivernantes d’Anatidés (Fouque et al. 2009), et sur les travaux de la Tour du Valat concernant l’importance des rizières pour les oiseaux d’eau. Le rôle limitant pour les canards des surfaces en habitats de gagnage nocturne a depuis longtemps été mis en évidence (Duncan et al. 1999). Outre leur surface, la distribution dans l’espace (en particulier par rapport aux sites de remise diurne, Guillemain et al. 2008) et la qualité de ces habitats est également prépondérante pour qu’ils soient utilisés par les oiseaux. Suivant la théorie de l’approvisionnement optimal (e.g. Stephens & Krebs 1986), l’utilisation d’un habitat est le résultat d’un compromis entre coût d’utilisation (distance, risque encouru pendant son utilisation) et bénéfice espéré en termes d’énergie acquise par unité de temps. Dans le cas présent, il est attendu que des changements de pratiques post-récolte influent à la fois sur la disponibilité de l’habitat (en fonction de son inondation ou non) et sur les quantités de ressources alimentaires pouvant y être trouvées (Kross et al. 2008, Havens et al. 2009), donc sur leur capacité d’accueil pour les Anatidés (Manley et al. 2004). Les travaux conduits en Amérique du Nord démontrent ainsi l’importance des résidus de récolte pour les Anatidés (Greer et al. 2009, Stafford et al. 2010). De ce fait, les politiques de conservation des populations d’Anatidés (« Joint Ventures ») s’appuient largement dans les régions de production rizicoles (Californie, Vallée du Mississippi) sur une gestion appropriée des parcelles afin de les rendre plus attractives pour les oiseaux. Des bénéfices agronomiques à de telles pratiques sont également observés (par exemple en termes de décomposition de la paille, un des problèmes rencontrés par les riziculteurs Camarguais ; Bird et al. 2000), de sorte que des bénéfices mutuels pour la biodiversité et les agriculteurs peuvent être espérés de pratiques culturales adaptées.

Questions de recherche de ce travail de thèse :
1)      la disponibilité alimentaire pour les canards hivernants dans les rizières en Camargue est elle différente en fonction des pratiques culturales post récolte ?
Hypothèse : certaines pratiques permettent de conserver plus de résidus de récolte, et de les rendre plus accessibles aux oiseaux hivernants. Certaines pratiques sont plus favorables au développement de proies naturelles (invertébrés, en particulier)
Prédiction : les rizières inondées non brulées et non labourées contiennent plus de résidus de récolte avant l’arrivée des canards hivernants. Les rizières conduites en agriculture biologique hébergent plus de proies animales.

2)      les canards hivernants utilisent ils les rizières comme gagnage nocturne si celles si fournissent des ressources alimentaires suffisamment abondantes ?
Hypothèse : lorsque les rizières sont cultivées de manière telle que des ressources alimentaires sont accessibles (inondation) et abondantes (voir point 1 ci-dessus), ces habitats seront utilisés par les canards hivernants de manière importante
Prédiction : les rizières fournissant d’abondantes ressources alimentaires seront au moins autant utilisées la nuit par les canards hivernants que les marais traditionnels. Les ressources alimentaires diminueront plus vite au cours de l’hiver dans les zones effectivement plus utilisées par les canards (i.e. les oiseaux les utilisent bien comme zones d’alimentation).

3)      cultiver les rizières de manière favorable aux anatidés hivernants représente t il une perte en termes agronomiques et donc un coût pour l’exploitant ?
Hypothèse : cultiver les rizières afin de les rendre attractives pour les Anatidés représente un coût (pompage d’eau, travaux de préparation au printemps), mais ceux-ci sont compensés par l’utilisation des parcelles par les canards
Prédiction : la fréquentation par les canards favorise la décomposition de la paille, limite la prolifération d’adventices, et peut dans certains cas fournir un revenu par l’activité cynégétique.

4)      est il possible de passer régulièrement de la riziculture à l’exploitation de marais de chasse ?
Hypothèse : on sait que les anciennes rizières abandonnées deviennent des marais attractifs pour les anatidés, mais d’anciens marais pourraient aussi redevenir facilement des rizières cultivées
Prédiction : la gestion d’une parcelle en tant que marais de chasse (tout en conservant par exemple l’infrastructure hydraulique) ne compromet pas le retour à la riziculture de celle-ci, en particulier du point de vue du développement des adventices.


MISE EN ŒUVRE DE LA THESE :

Sites d’étude
La Tour du Valat : le domaine de la Tour du Valat contient à la fois une réserve naturelle (sur laquelle sont implantées plusieurs remises diurnes de canards), une zone chassée et des zones cultivées. Les parcelles rizicoles pourront être le lieu d’expérimentations.
Les autres rizières privées : plusieurs propriétaires privés, certains possédant de très grandes exploitations agricoles, nous ont déjà signifié leur intérêt pour ce projet et leur volonté d’y participer.

Environnement scientifique
Le doctorant travaillera conjointement au sein de l’ONCFS avec Matthieu Guillemain (ingénieur) et Jean-Baptiste Mouronval (technicien supérieur), ayant tout deux conduit des recherches sur les questions d’approvisionnement des Anatidés depuis 15 ans.
L’ONCFS et la Tour du Valat, en particulier Michel Gauthier-Clerc, collaborent depuis 10 ans à des projets sur l’écologie des anatidés hivernants, et cette thèse s’inscrira dans ce contexte.
Le Professeur Rick Kaminski de l’Université de l’Etat du Mississippi et grand spécialiste des relations entre Anatidés et riziculture (cf références en bas de ce projet), nous a déjà fait part de son intérêt pour le projet.
Le volet « utilisation de l’espace » s’appuiera sur l’utilisation d’enregistreurs GPS, déjà acquis dans le cadre d’une collaboration avec le Professeur Johan Elmberg de l’Université de Kristianstad (Suède) et Yan Ropert-Coudert de l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS-Strasbourg).

Données à recueillir par le doctorant ou des stagiaires :
Abondance de ressources alimentaires dans les parcelles rizicoles en fonction des pratiques culturales (ainsi que de l’histoire de la parcelle): carottages réguliers pour estimer l’abondance des graines dans le sédiment et l’évolution de celle-ci au cours de l’hiver.
Utilisation des parcelles rizicoles par les canards hivernants : recensements nocturnes (à l’aide d’un amplificateur de lumière) et suivi d’oiseaux équipés de GPS.

Bourse :
Une bourse de thèse de 1631 € brut par mois sera versée par l’ONCFS  au doctorant pendant une durée de 3 ans.

Connaissances et compétences requises :
Le/la candidat(e) aura une formation solide en écologie, si possible complétée par de bonnes connaissances en agronomie, et un intérêt particulier pour l’écologie alimentaire et l’utilisation de l’espace par la faune sauvage. Des compétences avérées en analyse de données sont requises. Le goût pour le travail de terrain, y compris en conditions difficiles (comptages de nuit en hiver) est absolument nécessaire, ainsi que celui du contact avec différentes catégories socioprofessionnelles (agriculteurs, chasseurs, gestionnaires d’espaces protégés). Outre le travail de terrain pour leur collecte, l’étudiant(e) aura en charge le tri et l’analyse des prélèvements en laboratoire.
La Tour du Valat est un espace naturel au milieu de la Camargue. Elle fournit donc un cadre agréable pour des naturalistes, mais demande aussi un goût marqué pour la vie en communauté isolée. Le permis de conduire est absolument obligatoire.

Contacts :
Les dossiers de candidature (CV détaillé plus lettre de motivation) doivent être adressés conjointement à Matthieu Guillemain (matthieu.guillemain@oncfs.gouv.fr) et Michel Gauthier-Clerc (gauthier-clerc@tourduvalat.org), impérativement avant le 29 Juillet 2012.

REFERENCES

Bird, J.A., Pettygrove, G.S. & Eadie, J.M. 2000. The impact of waterfowl foraging on the decomposition of rice straw: mutual benefits for rice growers and waterfowl. Journal of Applied Ecology 37: 728-741.
Caizergues, A., Guillemain, M., Arzel, C., Devineau, O., Leray, G., Pilvin, D., Lepley, M., Massez, G. & Schricke, V. 2011. Emigration rates and population turnover of Teal (Anas crecca) in two major wetlands of Western Europe. Wildlife Biology, 17: 373-382.
Duncan, P., Hewison, A.J.M., Houte, S., Rosoux, R., Tournebize, T., Dubs, F., Burezl, F. & Bretagnolle, V. 1999. Long-term changes in agricultural practices and wildfowling in an internationally important wetland, and their effects on the guild of wintering ducks. J Applied Ecol 36: 11-23.
Fouque, C., Guillemain, M. & Schricke, V. 2009. Trends in the number of Coot Fulica atra and wildfowl Anatidae wintering in France, and their relationship with hunting activity at wetland sites. Wildfowl Special issue 2 : 42-59.
Greer, D.M., Dugger, B.D., Reinecke, K.J. & Petrie, M.J. 2009. Depletion of rice as food of waterfowl wintering in the Mississippi Alluvial Valley. J Wild Manage 73: 1125-1133.
Gunnarsson, G., Elmberg, J. & Waldenström, J. 2011. Trends in body mass of ducks over time: the hypotheses in Guillemain et al. revisited. Ambio 40: 338-340.
Guillemain, M., Mondain-Monval, J.Y., Weissenbacher, E. & Brochet, A.L. 2008a. Hunting bag and distance from the day-roost in Camargue ducks. Wildlife Biology 14: 379-385.
Guillemain, M., Elmberg, J., Arzel, C., Johnson, A.R. & Simon, G. 2008b. The income-capital breeding dichotomy revisited : late winter body condition is related to breeding success in an income breeder. Ibis 150 : 172-176.
Guillemain, M., Devineau, O., Brochet, A-L., Fuster, J., Fritz, H., Green, A.J. & Gauthier-Clerc, M. 2010a. What is the spatial unit for a wintering Teal Anas crecca ? weekly day-roost fidelity inferred from nasal saddles in the Camargue, Southern France. Wildlife Biology 16: 215-220.
Guillemain, M., Elmberg, J., Gauthier-Clerc, M., Massez, G., Hearn, R., Champagnon, J. & Simon, G. 2010b. Wintering French Mallard and Teal are heavier and in better body condition than 30 years ago: effects of a changing environment? Ambio 39 : 170-180.
Havens, J.H., Kaminski, R.M., Davis, J.B. & Riffell, S.K.Winter abundance of waterfowl and waste rice in managed Arkansas rice fields. Proc. Annu. Conf. SEAFWA 63. sous presse.
Kross, J.P., Kaminski, R.M., Reinecke, K.J. & Pearse, A.T. 2008. Conserving waste rice for wintering waterfowl in the Mississippi Alluvial Valley. J Wildl Manage 72: 1383-1387.
Manley, S.W., Kaminski, R.M., Reinecke, K.J. & Gerard, P.D. 2004. Waterbird foods in winter-managed ricefields in Mississippi. J Wildl Manage 68: 74-83.
Stafford, J.D., Kaminski, R.M. & Reinecke, K.J. 2010. Avian foods, foraging and habitat conservation in world rice fields. Waterbirds 33 (special publication 1): 133-150.
Stephens, D.W. & Krebs, J.R. 1986. Foraging theory. Princeton University Press, USA.